Chaque fois qu’un bateau de réfugiés africains atteint les côtes de Lampedusa ou les Îles Canaries, ceci crée une nouvelle vague de débats médiatiques sur la question de la migration africaine vers l’Europe. Plusieurs pays ont même développé de nouvelles mesures politiques pour répondre à l’arrivée massive de nouveaux migrants à laquelle ils s’attendent à devoir faire face. Toutefois, le nombre réel d'immigrés provenant des pays d’Afrique subsaharienne est bien inférieur à ce que le discours public laisse parfois entendre, comme le montre le travail de David Lessault et Cris Beauchemin.
Les nouveaux pays d’accueil, l’Italie et l’Espagne
D. Lessault et C. Beauchemin ont analysé de plus près les données existantes sur la migration de l’Afrique subsaharienne vers l’Europe. Même en Espagne et en Italie, pays actuellement favorisés par ces migrants, leur nombre reste faible. Ils représentent un peu moins de 4 % de la population immigrée en Espagne et un peu moins de 8 % en Italie. Dans ces deux pays, ils sont nettement en minorité par rapport aux immigrés venant d’Europe, d’Afrique du Nord et d’Amérique Latine (en Espagne) ou d’Asie (en Italie) (cf. tableau 1).
Tableau 1: Population immigrée en Espagne et en Italie, par lieu de naissance, 2006
Historiquement, la France et la Grande-Bretagne sont traditionnellement deux pays de destination pour les migrants provenant d’Afrique de l’Ouest et de l’Est. Mais même ici, comme le montre D. Lessault et C. Beauchemin, la part de ces migrants dans la population immigrée totale est relativement faible. D’après les données disponibles sur la France, les subsahariens représentent 12 % de la population immigrée totale alors qu’il y avait trois fois plus d’immigrés provenant de l’Europe ou de l’Afrique du Nord (cf. graphique 1).
Graphique 1: : Population immigrée en France par région et lieu d'origine, 2004
Selon les chercheurs, l’augmentation perçue de ce groupe d’immigrés en Europe pourrait provenir du fait qu’elle était pratiquement inexistante dans le passé. En France, le recensement de 1962 ne comptait que 20 000 migrants subsahariens ; dans d’autres pays européens, leur nombre était encore plus faible. En 2004, ils étaient 570 000, ce qui représente toujours moins de 1 % de la population totale française.
L’impact de l’immigration clandestine
Entre autres, les débats publics et politiques s’inquiètent de la vision déformée de migrants « sans-papiers » passant à travers les mailles du filet statistique. Selon Lessault et Beauchemin, cette image n’est que partiellement vraie.
Tout d’abord, les immigrés arrivés initialement sans documents valides pourraient bien devenir des résidents légaux à un stade ultérieur. Ceci est possible tout particulièrement lorsque des mesures politiques encouragent ces initiatives, comme le programme français de régularisation de 1997 et 1998 ou encore d’autres programmes similaires en Espagne et en Italie. Dans ces deux pays, les chiffres fournis par ces programmes montrent à nouveau une diminution de la proportion de personnes provenant d’Afrique subsaharienne : en Italie, leur part dans les programmes de régularisation a diminué de 14 % en 1998 à 5 % en 2002, en Espagne de 14 % à 7 % en 2001.
Bien entendu, tous les migrants « sans-papiers » ne formulent pas une demande de régularisation et toutes les demandes ne sont pas acceptées. En utilisant les données françaises, les chercheurs affirment que pour 42 000 demandes effectuées par des africains subsahariens, autant de personnes seraient restées à l’écart de la procédure. En incluant ce chiffre aux individus comptés dans le recensement de 1999, ceci n’augmente pas les statistiques de façon significative : la proportion de subsahariens dans la population totale d’immigrants augmente de 9 % à moins de 11 %.
La plupart des migrants africains restent sur le continent africain
Les chercheurs concluent que même si des cas d’irrégularité sont bien présents, la migration provenant de pays subsahariens est récente et est une évolution limitée. Ceci s’explique par le fait que peu de migrants subsahariens quittent réellement l’Afrique. Les nombreux réfugiés fuyant les conflits régionaux ont eux-aussi tendance à rester sur le continent africain.
Selon la compilation de données du recensement utilisée par Lessault et Beauchemin, en 2000, moins d’une personne sur cent (0,9 %) née dans cette région et âgée de 25 ans et plus a vécu dans un pays de l’OCDE. C’est treize fois moins que la proportion d’immigrés subsahariens vivant en Amérique Centrale (11,9 %). Ainsi, pour conclure, les débats politiques et publics négligent le fait qu’une grande partie des migrants (du peu venu en Europe) reste sur le continent de façon limitée dans le temps.
Please note that only the English version is citable as this is the version that has been approved by the author(s). Please cite the PopDigest as: Matthiesen, Sigrun (2011): Lampedusa does not Tell the Full Story: Migrants from sub-Saharan Africa are still a small minority in Europe. PopDigest 10. Berlin: Population Europe. Available at: http://population-europe.eu/pop-digest/lampedusa-does-not-tell-full-sto…. (Date of Access)
This Population Digest has been published with financial support from the Progress Programme of the European Union in the framework of the project “Supporting a Partnership for Enhancing Europe’s Capacity to Tackle Demographic and Societal Change”.